Il y a quelques temps je discutais avec une jeune femme candidate au recueil d’enfant par Kafala. Elle semblait perturbée par un événement auquel elle venait d’assister et avait du mal à en parler.Finalement elle s’est confiée et a fini par me raconter dans les détails ce qu’elle avait vu.
En allant au tribunal pour faire une démarche administrative, elle a rencontré une femme dans la file d’attente.
Elles ont commencé à converser sur le sujet de leur présence dans cette administration, et la femme lui a précisé qu’elle venait pour demander l’annulation d’une adoption. Sa fille âgée de 20 ans, et qu’elle avait recueilli en Kafala à sa naissance était, selon ses termes, devenue « ingrate », et un conflit avait éclaté entre elles.
Devant cette situation, la femme en question ne souhaitait pas que sa fille hérite de ses biens après son décès, estimant qu’elle ne le méritait pas en raison de son ingratitude. Elle venait donc au tribunal pour demander au juge d’annuler l’adoption dans le but de la déshériter.
Choquée par cette histoire, je me suis posée beaucoup de questions. A quoi rime cette notion de gratitude des enfants vis-à-vis des parents, en particulier dans nos communautés ? Est-ce une logique de “redevabilité”, un devoir ? L’amour des parents vis-à-vis des enfants est-il conditionnel ? L’enfant a-t-il le droit de s’opposer et devenir un individu à part entière, même si ce n’est pas celui que ses parents auraient voulu qu’il soit ?
Le sujet est complexe, et il est sûr que la blessure du parent qui en arrive à une telle extrémité avec son enfant est réelle. Dans le cas particulier de la Kafala, ou même de l’adoption en général, l’absence de lien de sang semble rendre ce sujet encore plus sensible.
Cette notion de gratitude, d’attente de reconnaissance de la part d’un enfant qui n’est pas biologiquement le sien, à qui on a donné et « sacrifié » comme on l’aurait fait pour un enfant biologique est à double tranchant et peut créer des situations dramatiques.
Le premier écueil se situe à mon sens ici : dans l’attente. Donner de l’amour ou quoi que ce soit d’autre en attendant un retour est la meilleure façon d’être blessé, déçu. Adopter ou donner naissance à un enfant, lui donner un meilleur cadre de vie ne donne pas le droit au parent d’en faire un redevable, qu’on peut déshériter et renier en cas de désaccord.
Pour les enfants adoptés c’est une injustice faite à un enfant déjà blessé par la vie à sa naissance. Pour les enfants de manière générale, c’est tenter de manipuler leur sentiments, jouer sur la culpabilité. Mais encore une fois, ce comportement parental est certainement la conséquence d’une vrai blessure, peut être inconsciente, ou qui réveille quelque chose liée à l’enfance du parent en question.
Le deuxième écueil, c’est la notion de sacrifice. « J’ai tant sacrifié pour toi etc… » sont des phrases que beaucoup trop de parents disent à leur enfant, comme si l’enfant avait demandé quoi que ce soit. Ici la notion d’attente d’une reconnaissance venant de l’enfant rejoint celle du don au détriment de soi. Sacrifier de son propre chef quoi que ce soit sans que l’autre n’ai rien demandé, c’est faire de cet autre un voleur à son insu. C’est surtout une injustice faite d’abord à soi, mais aussi à son enfant, qui tôt ou tard développera un sentiment de culpabilité.
Néanmoins, apprendre à son enfant ce qu’est la gratitude, c’est lui donner la chance de devenir un adulte suffisamment empathique pour prendre en considération les sentiments de l’autre. Là encore il s’agit d’un équilibre à trouver, et dont la clé, me semble-t-il, réside dans le dialogue, et une meilleure connaissance de soi pour le parent.
